Nolan pensa, des années durant, qu'il n'était que l'objet d'une terrible erreur. Le fruit d'une aventure qui n'aurait pas eu lieu d'être. Il pensait, avec une certaine logique, que son père ne voulait pas de lui, que sa naissance était un malentendu qu'il lui fallait assumer tant bien que mal. Car dans le monde de Pierce Wellington, il n'y avait certainement pas de place pour un enfant. Il avait déjà commit la monstrueuse bêtise de tomber amoureux, d'avoir à se soucier de quelqu'un d'autre que de sa petite personne. Si le commun des mortels pouvait assumer de tels actes, lui, en revanche, ne pouvait se permettre de traîner une pareille faiblesse. Bien sûr qu'il aimait cette femme, elle était passionnée autant que captivante, faisait germer des sentiments auxquels Pierce pensait ne jamais goûter. Mais sa vocation n'était pas d'être un amoureux transit. Il avait épousé une autre cause, s'était lancé dans un combat où l'amour n'avait pas sa place. Né mutant, il avait subit comme les siens les persécutions que les hommes infligés à ceux qui les effrayaient. Il savait ce qu'était la souffrance, la perte des êtres chers, la peur du lendemain. Mais il avait toujours refusé de se cacher. Fidèle à ses convictions jusqu'au bout, le père de Nolan avait choisi de défendre ses idées d'une manière peu glorieuse: la violence. Il s'en prenait sans scrupules à ceux qui auparavant avait montré de l'hostilité aux mutants. Puisqu'ils voulaient les museler, les mettre en cage, Pierce estimait que ces personnalités qui méprisaient les mutants ne méritaient pas de vivre. Aussi se fit il assassin pour une cause qu'il pensait ainsi défendre à sa manière. On lui attribua l'étiquette de terroriste, et ni lui ni sa famille ne purent mettre un pied dehors sans être inquiétés par les services de police à la recherche des terroristes.
Qui pouvait vouloir offrir pareille vie à un enfant ? Pierce assuma malgré tout, conscient que ce garçon à naître était son avenir, celui là même pour lequel il luttait. Et ainsi naquit Nolan Wellington, élevé dans l'ombre par crainte qu'on ne s'en prenne à lui pour atteindre son père. Nolan vivait exclusivement avec sa mère, une ancienne hippie aux idées bien arrêtées: elle n'était pas mutante, mais épousait la cause de son cher et tendre avec la même conviction: le gouvernement américain était le diable en personne, et il fallait passer par les armes pour le faire tomber de son piédestal. Rôle que Pierce prit de plus en plus soin à accomplir. Il visait toujours plus, toujours plus grand. Ses petits meurtres au détour d'un couloir ne marquaient pas suffisamment les esprits, selon lui. Il fallait passer à la vitesse supérieure.
Il réapparaissait de temps à autre dans la vie de Nolan, le temps de quelques semaines, voire de quelques mois, mais rarement davantage, contant à son fils avec quelle énergie il défendait leur cause, et qu'un jour, son fils serait en âge de comprendre, et serait fier de lui. Mais Nolan n'était qu'un enfant, et n'était pas vraiment facile à impressionner, malgré son jeune âge. Au fond de lui, il restait persuadé que la méthode employé n'était pas la bonne, que son père courait un risque immense, pour de maigres résultats. Il se trouve que le destin lui donna raison.

Ce fut une balle de neuf millimètres qui stoppa en pleine course le redoutable parcours de Pierce Wellington. Il laissait derrière lui une veuve épeurée et un fils qui ne savait s'il fallait vraiment pleurer une pareille perte. On apprit rapidement que le garçon de six ans n'était pas la seule progéniture du fameux mutant. Parce qu'entre deux explosions de buildings, il avait trouvé le temps de se consoler dans les bras d'une autre femme, une maîtresse qui lui avait donné un autre fils, de deux ans le cadet de Nolan. Ce demi frère dont il n'avait jamais entendu parler auparavant, et dont il viendrait à se méfier tout au long de son existence. Ils se rencontrèrent pour la première fois aux funérailles de leur géniteur, cherchant inconsciemment à savoir lequel des deux fils était le plus aimé, celui en qui Pierce plaçait secrètement ses plus grands espoirs... La réalité, ils n'auraient pu le savoir, mais Pierce avait aimé ses deux fils avec autant de tendresse, tout comme ces deux femmes qui avaient partagé sa vie, et souffert de son activité.
La vie reprit lentement son cours, Nolan pouvait enfin mettre le nez dehors sans craindre pour sa vie. Mais ce fut celle de sa mère qui prit un tournant radical. On lui diagnostiqua une forme de cancer qui l'emporta en quelques mois seulement. Nolan se retrouva seul, placé aux mains des services sociaux. Son cas faisait grand bruit: fallait il prendre le risque de divulguer aux futurs parents adoptants qui était cet enfant, et plus grave encore, de qui il était la progéniture ? Pour s'assurer qu'il ait les mêmes chances que les autres orphelins, on préféra garder ses origines secrètes. Et ce garçonnet de six ans, calme et réfléchi, fini par faire craquer une famille, qui décida de le prendre sous son aile.

Nolan conserva son nom de famille, par crainte qu'un changement supplémentaire ne vienne le fragiliser davantage. Mais cet homme et cette femme qui l'avaient accueilli, il ne tarda pas à les appeler papa et maman. Parce qu'ils étaient les vrais parents qu'il avait toujours voulu, qu'ils l'aimaient comme des parents se devaient de le faire, et parce qu'ils étaient mille fois plus équilibrés que tous les adultes que Nolan avait croisé sur sa route jusqu'alors. Bien sûr, sa mère biologique lui manquait, mais sa vie d'avant n'était en rien comparable à la nouvelle, si bien qu'il finit par prendre goût à son nouveau train de vie.
Le hasard avait voulu qu'il tombe sur une famille plutôt aisée. Lui était un juge respecté, elle une restauratrice qui faisait des merveilles. Passant de l'ombre à la lumière, découvrant le luxe et l'opulence, le garçon avait parfaitement conscience de bafouer une partie des idéaux révolutionnaires de son père. Mais sa bonne conscience n'avait que faire de ce que son père, mutant engagé, certes, mais assassin avant tout, pouvait bien penser depuis l'Enfer où on l'avait certainement envoyé.

Nolan se garda bien de parler de ses vrais parents. Il avait tourné la page, et ses parents adoptifs n'abordèrent jamais le sujet, trop craintifs à l'idée d'ouvrir d'anciennes blessures. Si bien que pendant quelques années, le jeune garçon goutta aux joies d'une vie presque parfaite. Naturellement, il fallu qu'un jour ses pouvoirs se manifestent. Il était fils de mutant, aussi rien d'étonnant à ce que le particularisme génétique de Pierce soit transmit à Nolan. Le jeune homme savait qu'à l'approche de la puberté, son don se manifesterait tôt ou tard. Il espérait que celui ci ne viendrait pas ruiner sa vie, qu'il s'agirait de quelque chose de médiocre, qui ne viendrait pas perturber son quotidien. Comme la faculté de respirer sous l'eau ou de ne plus dormir pendant des mois... Bref, un don qui ne se remarque pas. Malheureusement pour lui, ce fut tout l'inverse. Comme son père avant lui, Nolan développa un don impressionnant, qu'il ne sut pas maîtriser lorsqu'il se manifesta. Nolan se révéla biokinésiste, soit capable de charger en énergie des objets par le toucher, et de les faire exploser. Plus l'objet était gros, plus l'explosion était retentissante. Et comme par hasard, son don se manifesta alors que le jeune homme était appuyé contre la berline familiale. Celle ci explosa sans blesser qui que ce soit, tandis que Nolan devait faire face aux regards mi effrayés mi accusateurs de ses parents adoptifs.
Ils ne furent pas compréhensifs. Ils injurièrent l'assistance sociale qui s'était occupée de son dossier jadis, mécontents d'avoir adopté un monstre, une bombe à retardement. Mais ce qui était fait ne pouvait plus être défait, répondit la fonctionnaire. Il leur fallait faire avec, car même s'il avait caché une partie de son passé, Nolan restait toujours ce garçon dont ils étaient tombés sous le charme. Malheureusement, l'argument ne convainc pas, et Nolan fut sommé de partir séance tenante. Il avait quatorze ans, et n'avait pas un seul instant envie de retourner auprès des services sociaux. De toute façon, à présent que son don s'était manifesté, qui voudrait prendre soin de lui ?

Son errance le mena jusqu'à Chicago. Il avait considérablement maigri, n'avait mangé que ce qu'il avait volé ou ce qu'on avait bien voulu lui offrir, et était pâle à faire peur. Nolan n'était plus que l'ombre de lui même, un gosse sans avenir et abandonné à son triste sort. Mais il fit une rencontre inattendue autant qu'inespérée. Une vieille dame anglaise au cœur sur la main, qui répondait au nom de Lady Agatha, le prit en pitié et lui offrit le gîte et le couvert. Elle devint sa nouvelle famille, ne le jugeant pas sur son appartenance au monde mutant, mais bel et bien sur ce qu'il était en tant que personne. Il se révéla que Lady Agatha était une mutante, douée d'un talent certain pour la voyance, et qui avait comprit que Nolan n'était pas destiné à suivre les traces de son père. Il méritait qu'on lui offre sa propre chance, et elle avait décidé d'être celle qui forcerait le destin pour lui.

Agatha l'incita à reprendre les chemins de l'école, à viser l'excellence et à garder espoir en toute circonstance. Même si le naturel de Nolan était d'être fataliste, cynique et impatient, l'influence qu'avait Agatha sur lui était perceptible: chaque jour, il s'éloignait encore un peu plus de la vision qu'avait son père du monde des mutants. La lutte dans laquelle il s'était engagé n'était pas du tout celle dans laquelle Nolan voulait mettre les pieds. La crainte n'était pas ce qui aiderait les mutants à se faire une place dans la société, ne cessait il de répéter à Lady Agatha. Au cours de leurs nombreuses tasses de thé coutumières, il réalisa qu'il lui faudrait agir, qu'il ne supporterait pas d'être dans l'inaction tandis que des mutants seraient persécutés, et que d'autres seraient une menace pour l'espèce humaine. Il fallait que quelqu'un se pose en arbitre. Veille à la sécurité des deux camps. Ce fut l'agression d'un mutant, tabassé par un groupe de jeunes humains, qui le décida à sortir de sa réserve. Il avait vingt ans, et n'était pas idéaliste, rêveur et passionné comme les jeunes de son âge. Sa vision du monde avait été ternie par tous les drames qui avaient jalonné son existence. A présent, sa froideur était constante, son manque de diplomatie et son impatience étaient deux choses qui venaient en tête immédiatement lorsqu'il fallait parler de Nolan.
Malgré tout, il conservait une foi en l'espèce humaine que peu soupçonnaient. Il savait que seul Stonewood était capable d'accorder tout le monde sur le même refrain. Aussi s'engagea t-il dans leur lutte, bien décidé à ne jamais reproduire les erreurs de son père. On se méfia de lui, dans un premier temps. Élevé par un terroriste, on craignait qu'il n'ait hérité des idées de son père, et qu'il soit venu les mettre en application à son tour. Mais il se révéla être quelqu'un de confiance. Le genre de personne dont l'efficacité ne pouvait être remise en cause.

Les années passèrent, et les doutes s'estompèrent. Nolan avait indubitablement sa place aux côtés des membres de Stonewood, décidés à rétablir la paix dans une société en conflit permanent. Nolan ne cessa jamais de se préoccuper du sort de ses semblables. Sur ce point, il était comme son père: déterminé à protéger les mutants face à la folie des hommes. Décidé à préserver ceux qui étaient trop faibles ou trop isolés pour s'en sortir. Et puis, Stonewood dérapa. Les scientifiques du groupe modifièrent le code génétique des hommes pour qu'à leur tour ils développent un don hors du commun. L'organisation s'effondra, et Nolan crû qu'il lui faudrait faire face à une nouvelle errance. Mais il n'en fut rien. Il fut de ceux qui entrèrent dans la clandestinité, bien décidé à ce que Stonewood survive à cette épreuve. Bien décidé à poursuivre cet idéal qui l'avait fait rejoindre l'agence bien des années plutôt. Une nouvelle ère venait de débuter pour les hommes. Nolan était prêt.